• L'incroyable couac du prélèvement à la source

    Les hésitations d'Emmanuel Macron sur l'impôt à la source à quatre mois de l'échéance tiennent à des raisons techniques et politiques. Pour éviter le "méga-bug", Bercy avait pourtant déployé les grands moyens.


    L'incroyable couac du prélèvement à la source
    © RSN Tv

    "L'incroyable couac du prélèvement à la source"

    Ambiance surréaliste ce mardi 4 septembre au matin au palais de l’Elysée. Le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin était convoqué par le président de la République pour défendre une réforme votée… il y a deux ans. Du jamais-vu. Alors que le ministre vient d’adresser aux 38 millions de foyers fiscaux une lettre pour les prévenir de l’instauration de l’impôt à la source en janvier prochain et que les premiers spots TV de com’ officielle tournent en boucle, le chef de l’Etat a comme un doute. "Avec ça, on peut brûler un capital politique, a-t-il confié à quelques élus lors d’un déplacement en Mayenne. Ceux qui me poussent à faire cette réforme ne seront pas là demain pour me défendre." Emmanuel Macron sait qu’il joue gros. Lui qui a basé toute sa politique sur l’efficacité refuse de prendre le moindre risque et tergiverse publiquement depuis plusieurs jours.

    A quatre mois d’un big bang fiscal soutenu par 63 % des Français selon notre sondage Odoxa-Aviva-Challenges-BFM Business, cette hésitation au sommet de l’Etat prend des allures de formidable couac. "Je suis certain que les choses fonctionneront très bien et j’aurai l’occasion de le dire au président de la République", a d'abord réagi Gérald Darmanin aux atermoiements présidentiels. Avant d’évoquer quelques jours plus tard le possible "arrêt" de la réforme... Une cacophonie qui permet à tous les opposants de s’engouffrer dans la brèche, de Laurent Wauquiez à Jean-Luc Mélenchon en passant par le patron du Medef Geoffroy Roux de Bézieux ou le leader de FO Pascal Pavageau.

    Au sein de l’administration fiscale, c’est la stupeur. Les 100 000 fonctionnaires qui préparent depuis trois ans cette réforme titanesque n’en reviennent pas d’un tel cafouillage. Le coup est rude pour Bruno Parent, le patron de la direction générale des Finances publiques (DGFIP), qui bataille depuis des années pour imposer le changement. En interne, il a affronté l’opposition constante de syndicats persuadés que la réforme se soldera par des coupes massives dans les effectifs. En externe, il a dû surmonter les réticences des patrons qui voient dans le prélèvement à la source une nouvelle complexité administrative et un coût supplémentaire (de 6 à 50 euros par salarié la première année, puis de 3 à 9 euros en régime de croisière, selon l’inspection des Finances).

    "Techniquement, nous sommes prêts, c’est ceinture et bretelles, assure un haut fonctionnaire des impôts, droit dans ses bottes. Même si sur 38 millions de foyers fiscaux il y aura forcément quelques ratés." Le 2 septembre, Le Parisien a révélé que les dizaines de millions de tests "à blanc" effectués ces derniers mois recelaient des centaines de millier d’erreurs. "Les erreurs identifiées concernent moins de 1 % des contribuables, elles ont été depuis résolues", a aussitôt rétorqué Gérald Darmanin. Avant que la DGFIP démente tout risque de "double prélèvement".

     

    190 millions d'euros déjà investis

     

    Pour éviter le "méga-bug", Bercy a déployé les grands moyens. Pas moins de 190 millions d’euros ont été investis pour garantir le succès de l’impôt à la source et quelques 40 000 fonctionnaires du fisc ont été formés pour répondre aux questions des contribuables. Une vaste de campagne de communication a été lancée pour 9,5 millions d'euros. "La machine est lancée, elle ne peut plus, elle ne doit plus s’arrêter", plastronnait encore Bruno Parent sur France Info fin août.

    Il n’empêche. Au cœur de l’été, un premier grain de sable s’est inséré dans cet engrenage bien huilé. Le gouvernement a admis qu’il serait incapable de proposer aux particuliers employeurs un dispositif simple de retenue à la source pour les employés à domicile. Résultat, les 250 000 femmes de ménage ou nounous imposables seraient exemptées l’an prochain et doublement imposées en 2020. "Cela fait partie des sujets qui ont du alerter le président de la République, reconnaît Cendra Motin, la députée LREM. D’autant qu’il y a toujours un doute sur la solution.» Le Conseil constitutionnel pourrait en effet censurer le dispositif au nom de la sacro-sainte « égalité devant l’impôt ».

    Autre sujet d’inquiétude : les fonctionnaires. Le système mis en place par les administrations pour transmettre les données au fisc comporte "davantage de risques" que celui des entreprises privées, pointait un rapport de l’inspection des Finances fin 2017. "Depuis, Bercy assure que tout est rentré dans l’ordre, relève François Ecalle, spécialiste des finances publiques, mais les multiples crashs informatiques survenus ces dernières années dans la sphère publique incitent à la plus grande prudence." Au ministère de la Défense, personne n’a oublié le logiciel de paie Louvois qui a multiplié les erreurs dans les soldes des militaires pour un coût de plusieurs centaines de millions d’euros.

     

    l'Illusion monétaire

     

    Au-delà des questions techniques, c’est le timing qui a alimenté les interrogations de l’Elysée. Emmanuel Macron a été assailli de cassandres lui prédisant que le prélèvement à la source se traduirait par un choc négatif sur la consommation. Fin janvier, des millions de salariés verraient en effet leur salaire net baisser sur leur feuille de paie et certains redoutent que les Français soient victimes de ce que les économistes nomment l’"illusion monétaire". "L’instauration du prélèvement à la source va tomber au pire moment, s’alarme Gilles Carrez, député LR du Val de Marne. Alors que le pouvoir d’achat des Français a baissé début 2018 sous le coup de la hausse de la CSG et des taxes sur les carburants, ils auraient une nouvelle fois l’impression de subir une perte."

    Fin 2017, le gouvernement avait déjà repoussé l’échéance pour éviter de brouiller le signal des baisses de cotisations. Un an après, c’est le même dilemme qui s’est posé alors qu’une deuxième baisse de cotisations et la suppression d’un tiers de la taxe d’habitation interviendront cet automne. "Est-ce que psychologiquement les Français sont prêts ?", s’était d’ailleurs interrogé à voix haute Gérald Darmanin le 1er septembre sur France Inter.

    Sur le fond, les économistes ne partagent pas les craintes des politiques. "L’effet psychologique du prélèvement à la source sera quasi inexistant, anticipe Philippe Moati, professeur à l’université Paris-Diderot. Ce qui importe in fine ce sont les revenus dont disposent réellement les Français pour consommer." L’écrasante majorité des 60 % de contribuables qui ont opté pour le paiement mensualisé verraient peu de changement et les 6,6 millions de foyers qui voient leurs revenus baisser d’une année sur l’autre profiteraient d’une baisse de la pression fiscale. "En fait, le prélèvement à la source jouera dans un sens comme dans l’autre, décrypte Nicolas Jacquemet, chercheur à l’Ecole d’économie de Paris. Typiquement, les jeunes seront imposés dès leur première paie, tandis que les nouveaux retraités paieront moins d’impôt. Tout cela va s’équilibrer." Un optimisme peu entendu.

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :