• Les sargasses, la «catastrophe sanitaire et économique» qui paralyse la Guadeloupe

    Ces algues brunes, qui s'échouent en masse sur les côtes, rejettent des gaz toxiques qui menacent la population. Mercredi, des écoles ont été fermées à Petit-Bourg, Sainte-Anne et Saint-François. L'économie et l'écologie de l'archipel sont également menacées.

    La Guadeloupe est envahie par les sargasses. Ces algues brunes, apparues dans les Caraïbes en 2011, forment des «radeaux» où des centaines d'animaux marins trouvent refuge. Une vertu écologique évidente, mais potentiellement dangereuse puisque l'on peut y trouver des espèces toxiques ou venimeuses comme le poisson lion. En stagnant, ces végétaux aquatiques menacent les fonds marins. En s'échouant sur le rivage, ils émettent de l'hydrogène sulfuré. Ces gaz, inhalés sur une longue durée, présentent des risques importants pour la santé humaine. «On fait face à une catastrophe sanitaire évidente», alerte Sylvie Gustave Dit Duflo, vice-présidente de la région et présidente de la Commission environnement et cadre de vie, au Figaro.

    À Petit-Bourg, commune en bord de mer située au sud de Baie Mahault, ces gaz toxiques ont poussé le maire, Guy Losbar, à prendre un arrêté pour fermer huit établissements scolaires de la ville. Sont concernées six écoles maternelles et élémentaires, ainsi que le collège et le lycée, privant 2000 élèves de cours «jusqu'à nouvel ordre». Cette décision drastique a été prise suite à un rapport publié le 29 mai par l'agence régionale de santé (ARS) faisant état d'un taux d'émanation de gaz atteignant 6 ppm (partie par million). Jusqu'à 5 ppm, l'ARS déconseille aux personnes fragiles (femmes enceintes, bébés, personnes âgées ou asthmatiques... ) de rester à proximité de ces rejets. Au-delà, seuls «les professionnels de moyens de mesures avec alarmes» peuvent approcher de la zone. À Sainte-Anne et Saint-François, ces taux n'ont pas été franchis mais les écoles ont aussi été fermées par précaution, les professeurs exerçant leur droit de retrait.

    Outre l'hydrogène sulfuré, les algues libèrent aussi de l'ammoniac. Mais aucune norme d'exposition n'existe. Impossible donc, de connaître des seuils de dangerosité du produit inhalé. «Nous n'avons toujours aucun retour sur les risques sanitaires que pourrait encourir la population, exposée de manière continue depuis février», signale Sylvie Gustave Dit Duflo. Les symptômes sont effrayants. D'abord, une odeur pestilentielle, puis «des vertiges, l'irritation des yeux et de la gorge», explique au Figaro le géographe Pascal Saffache. «Il ne faut pas oublier que l'hydrogène sulfuré et l'ammoniac sont deux gaz neurotoxiques, qui, à terme, bloquent le système nerveux et entraînent la mort».

    L'Homme premier responsable

     

    Alors qu'ils sont fréquents depuis plusieurs années au Mexique ou la côte est des États-Unis, les échouages massifs n'ont été observés dans l'arc antillais qu'à partir de 2011. Les raisons sont multiples et l'Homme en est le principal responsable. Au Brésil, désireux de devenir le premier producteur mondial d'éthanol, on a remplacé la forêt par de la canne à sucre et injecté de multiples produits phytosanitaires (pesticides, fongicides, engrais, phosphore, azote) sur les bassins versants. Quand il pleut, les arbres qui autrefois amortissaient l'eau de pluie, ne sont plus là. L'eau tombe sur le sol, ruisselle, se gorge de ces produits et s'évacue en direction des rivières, fleuves, et de l'océan. «À cause de ces nutriments, les algues croissent de façon exponentielle», assure Pascal Saffache.

    Mais la déforestation n'est pas une nouveauté, et la Guadeloupe n'est impactée que depuis peu. Le courant des Guyanes, qui longe les trois Guyanes et remonte vers les petites Antilles, a subi des variations et migré un peu vers l'Ouest, venant grignoter les radeaux d'algues qui stagnaient à l'embouchure du fleuve Amazone. «L'augmentation des basses couches de l'atmosphère et de la température des eaux ont fait varier la trajectoire de ce courant. Ce changement semble être une des conséquences du réchauffement climatique» poursuit l'expert. En 2015, un épisode assez intense a eu lieu en Guadeloupe, avant une accalmie en 2016 et 2017.

    À la région, un comité de pilotage a été mis en place dès septembre dernier. Des points ont lieu quotidiennement, des réunions toutes les semaines. «Nos outils de détection nous montraient que les échouages allaient être importants. On savait que la surface était conséquente, mais on n'avait aucune idée du volume. Aujourd'hui, on bat tous les records», s'inquiète Sylvie Gustave Dit Duflo. Depuis février 2018, la région est encore plus gravement impactée. Trente sites identifiés sont régulièrement touchés par le phénomène. On estime que 22 hectares sont en ce moment à l'approche des côtes de l'archipel. «Et ça ne fait que commencer», craint Pascal Saffache.

      figarofr: Des sargasses sur la plage de Capesterre-de-Marie-Galante. © RSN Tv

    "Des sargasses sur la plage de Capesterre-de-Marie-Galante".  

    Ramassage et stockage

     

    Pour éviter que les algues n'atteignent directement la population, il faut les ramasser. Chaque jour, 80 tonnes de sargasses sont récoltées dans la région. Tractopelles, bennes et camions s'activent quotidiennement sur tout l'archipel. «C'est un peu remplir un panier sans fond. Quand vous ramassez une tonne d'algues, une heure après, elles reviennent», déplore Pascal Saffache. Et d'autres méthodes fleurissent, car les gaz rejetés abîment les machines. L'association «STOP sargasses» s'est par exemple équipée d'un bateau, capable d'aspirer les plantes, les broyer, puis les rejeter en mer. Un procédé jugé «inefficace» par la région. Ces végétaux «ont un mode de reproduction asexué. Quand on sectionne une algue, on favorise sa croissance, c'est une fausse bonne idée», abonde Pascal Saffache. Selon l'expert, la meilleure solution est de ramasser les sargasses «en mer, avec des filets, comme pour de la pêche au gros». Mais ôter les algues de l'eau a un impact écologique pour les espèces comme les tortues et les coraux, habitués à s'y loger. «En ramassant les sargasses de la sorte, c'est tout un écosystème que vous agressez», s'insurge Sylvie Gustave Dit Duflo.

    La question du stockage est au moins aussi importante. Car si elles ne sont pas détruites, les algues, riches en métaux lourds, continuent de libérer des gaz toxiques, peu importe l'endroit où elles se trouvent. Actuellement, les végétaux sont stockés dans des carrières et des sites sans activité. «Mais on ne sait pas vraiment quoi en faire», note le géographe. D'autres idées sont à l'étude, comme la transformation en engrais, avec le risque de polluer les sols et de provoquer un désastre pour l'agriculture locale. D'après Pascal Saffache, il existe néanmoins une solution viable, proposée par l'entreprise Algopack. «Cette société est capable de transformer les sargasses en polymères, afin d'en faire des objets simples. Mais, lorsqu'on leur transmet les algues, il faut qu'elles soient propres, sans sable, et pas salées, ce qui a un coût», affirme-t-il.

    Le coût est une conséquence logique de cet envahissement. Depuis février 2018, certaines communes - parfois des villages - dépensent entre 3000 et 6000 euros chaque jour pour lutter contre les sargasses. En 2017, la région a utilisé 500.000 euros pour cet entretien quotidien, alors qu'il s'agissait d'une année relativement calme en la matière. La note devrait logiquement être beaucoup plus salée pour 2018. «La catastrophe est aussi économique», indique Sylvie Gustave Dit Duflo. Les habitants sont directement impactés. À certains endroits, les pêcheurs ne peuvent plus exercer leur activité correctement. Dans de nombreuses communes, l'activité balnéaire est au point mort, les clients se font rares et le nombre de touristes a diminué. «L'objectif d'un million de visiteurs par an ne sera jamais inatteignable avec cette catastrophe», craint la vice-présidente de la région.

    Et ce n'est pas tout. Laissés pendant quelques jours sur les plages, les gaz émis par les sargasses attaquent les composés électroniques et les rendent inutilisables. Tout ce qui est métallique devient par ailleurs totalement noir, «comme de l'argenterie trop laissée à l'air», compare Pascal Saffache. Mais le risque sanitaire est bien le plus important. À Capesterre-de-Marie-Galante, 35 familles attendent d'être déplacées car particulièrement exposées aux gaz toxiques. Pour l'heure, elles sont coupées du monde. Les bateaux ne peuvent plus accéder à la côte. Seul un hélicoptère est là en cas d'urgence.

    Hulot bientôt sur place

    Contacté par Le Figaro, le gouvernement, par le biais du ministère des Outre-Mer, dit prendre «pleinement la mesure des conséquences» du problème des sargasses. Une réunion interministérielle a eu lieu le 24 mai sur ce sujet, et plusieurs actions ont été engagées: mission d'assistance de la sécurité civile, surveillance sanitaire, assistance du service militaire. Le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, se rendra sur place à la mi-juin en compagnie de la ministre des Outre-Mer, Annick Girardin. Ils doivent présenter un plan national pour lutter contre les sargasses. Or, du côté de la région, on critique le manque de réactivité du gouvernement. «Les services de l'État sur place ont parfaitement réagi. En revanche, en métropole, on n'a pas mesuré l'ampleur du problème», regrette Sylvie Gustave Dit Duflo. Une lenteur qu'a reconnue Annick Girardin lors de la réunion interministérielle: «C'est peut-être fait un tout petit peu trop tard par rapport aux alertes des élus.» Le gouvernement a d'ores et déjà débloqué 3 millions d'euros pour tenter d'endiguer le phénomène. En 2016, une délégation dépêchée en Guadeloupe avait évalué à 16 millions d'euros les besoins de l'archipel. Bien avant l'afflux massif de cette saison

     


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